ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°33 -

Qu'attendent les villes de l'Etat ?


Le 4 mars dernier, le Conseil d’Etat s’est intéressé  aux relations entre l’Etat et les pouvoirs locaux, dans le cadre de son cycle de conférence intitulé « Où va l’Etat ? ». Caroline Cayeux, sénateur-maire de Beauvais, présidente de l’agglomération du Beauvaisis et présidente de Villes de France était invitée à y porter la voix des collectivités locales, aux côtés de Jean-Pierre Duport, préfet honoraire et de Danièle Lajoumard, Inspectrice générale des finances. Henri Plagnol, conseiller d’Etat, ancien ministre et ancien élu local, était chargé de modérer les débats.
L’objectif de la rencontre était de comprendre ce que les collectivités locales attendent de l’Etat, dans un contexte où l’action publique locale fait l’objet de sérieuses réorganisations (renforcement de l’intercommunalité, élargissement des régions, fusions de communes, éventuelle suppression des départements).
Face à ces vastes changements, Henri Plagnol a souhaité inscrire la réflexion dans une perspective historique. Il a rappelé que la France a longtemps figuré parmi les pays les plus jacobins et centralisés d’Europe. Certes, l’Etat a conduit une grande politique de modernisation des territoires autour du préfet, et les communes et départements créés après la Révolution « ont admirablement résisté au temps ». Cependant, la singularité du modèle français demeure, en témoignent la coexistence d’échelons déconcentrés et décentralisés d’une part, et le principe inédit de «libre administration des collectivités territoriales de la République », d’autre part.

 

La difficulté actuelle réside moins, selon Henri Plagnol, dans la singularité de ce modèle, que dans sa complexification : la montée en puissance de la fonction publique territoriale, la croissance des effectifs et des dépenses des collectivités, du contrôle de légalité, l’énergie nécessaire pour mener à bien un projet, pour « jongler entre les échelons » ont fait entrer le paysage local dans un modèle « inflationniste, qui menace l’action publique de dilution ».
De nombreuses questions se posent alors : faut-il supprimer la clause de compétence générale pour éviter les doublons ? Que penser du binôme métropole / régions? Peut-on repenser les dotations aux collectivités, et avec elles les modes de péréquation, sans remettre en cause le principe constitutionnel de libre administration ?
Un « manque d’Etat »
C’est dans ce contexte que Caroline Cayeux était invitée à s’exprimer, comme représentante du bloc local. La Présidente de Villes de France a répondu à la critique souvent faite aux élus, qui ne sauraient pas bien ce qu’ils veulent, partagés entre un « besoin d’Etat » par moment, et un « trop d’Etat » à d’autres. Caroline Cayeux a expliqué que la réalité se situait entre ces deux vérités.
D’un côté, les collectivités souffrent d’un manque d’Etat : la présence de l’Etat, dans son rôle de soutien, de conseil et d’assistance recule. Par exemple, les services de l’Etat ont abandonné l’instruction des permis de construire, obligeant les EPCI à reprendre la compétence. Les élus locaux se heurtent à la recentralisation à l’échelle régionale des politiques publiques déconcentrées (DRJSCS, DIRECCTE, DRAC, DREAL), que la création de grandes régions devrait accentuer. Enfin, beaucoup d’élus estiment que les conséquences des réformes des cartes judiciaire, sanitaire, militaire pour les villes, sont souvent sous-estimées, et que l’Etat montre trop peu d’égards pour l’avenir de ces territoires et leurs habitants (cf. l’impact économique et social des fermetures de services administratifs dans les villes de Douai, Dieuze, Cambrai, Valenciennes). Surtout, Caroline Cayeux a déploré le manque de vision stratégique de l’Etat en matière d’aménagement du territoire.
Il apparaît restrictif de mobiliser tous les efforts sur seulement 14 métropoles, en y concentrant toutes les fonctions régaliennes (police, justice, santé, universités) et fonctions administratives, et en présupposant que les autres territoires bénéficieront naturellement des retombées de leur croissance. Cette logique géographique étroite néglige les communes rurales et périurbaines, et sous-estime les risques sociaux et environnementaux associés à la concentration (congestion, pollution).
Mais parfois « trop d’Etat »
Sur d’autres points, l’État est souvent jugé « trop présent », a rappelé Caroline Cayeux. Ce « trop d’État » annihile l’initiative locale et pèse sur les finances publiques.
Il se manifeste à travers l’empilement cumulatif des normes applicables aux collectivités (accessibilité, amiante..), les contrôles excessivement rigoureux (dans le domaine de l’environnement et de l’urbanisme, à l’image du contrôle des schémas de cohérence territoriale), la multiplication des schémas et diagnostics qui doivent sans cesse être actualisés et la disproportion des procédures (par exemple pour monter un projet d’aménagement : révision du PLU, loi sur l’eau, archéologie préventive, permis d’aménager ou procédure de ZAC...). En outre, Caroline Cayeux s’est fait l’écho de nombreux maires qui déplorent une instruction cloisonnée de tous ces dossiers, réalisée par différents services de l’Etat (DREAL, DRAC, DDTM, ONEMA) la plupart du temps sans concertation voire sans discernement. A ce titre, la Présidente de Villes de France a suggéré que l’instruction des demandes d’autorisation administrative se fasse en mode « projet », selon une approche globale et pluridisciplinaire, afin de tenir compte de tous les enjeux du projet y compris économiques.
Caroline Cayeux a également dénoncé les transferts de compétences déguisés et non compensés de l’Etat aux collectivités (cf. les rythmes scolaires tout dernièrement), encore plus insurmontables en période de baisse brutale des dotations aux collectivités. Celle-ci a insisté sur le fait qu’il s’agit d’une réduction en valeur pour les collectivités locales, alors que les « efforts » des autres organismes publics (de sécurité sociale et de certaines dépenses de l’État) relèvent d’un ralentissement de la hausse des dépenses, et non d’une baisse effective. La brutalité de cette baisse des dotations ne permettra plus aux communes et aux communautés d’assurer leur rôle d’investisseur au service du pays, avec l’effet que l’on connaît sur l’activité et l’emploi local.
Pour conclure, Caroline Cayeux a appelé de ses vœux :
- un renforcement de l’Etat dans ses compétences régaliennes (santé, université, police, justice)
- un retour de l’Etat stratège et aménageur, qui sortirait d’une vision exclusivement guidée par la logique comptable, hyper concentratrice, et parfois bureaucratique.
- un Etat qui affiche sa confiance dans le travail des élus locaux - et réciproquement.
Retrouvez l’intégralité de ces débats, et en particulier les réponses des autres intervenants à Caroline Cayeux sur les points qu’elle a soulevés.

n°33

18 Mars 2015

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