En pleines Assises de la « mobilité », Villes de France apprenait avec stupéfaction que le réseau des 180 gares TGV risquait d’être profondément remanié, si l’on s’en tient aux seuls termes de la lettre de mission sur l’avenir du ferroviaire, adressée par le Premier ministre à l’ancien PDG d’Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta.
Après avoir fait part le 9 novembre dernier, à la ministre chargée des transports, Elisabeth Borne, de ses préoccupations quant à l’émergence d’un système ferroviaire à deux vitesses (voir Ondes
Urbaines n° 153), une nouvelle délégation de Villes de France* a tenu à rencontrer le responsable de cette mission, dont les conclusions sont attendues d’ici la fin du mois et qui risquent de faire couler beaucoup d’encre.
Arrêter de mettre les élus devant le fait accompli
Après avoir évoqué le désengagement global de l’État sur le réseau des lignes nationales secondaires (régionalisation de certains trains d’équilibre du territoire en 2016 et 2017, suppression d’antennes et de dessertes TGV…), les membres de la délégation ont rappelé que les scénarios qui envisagent une érosion irrémédiable du service sont néfastes pour le système ferroviaire lui-même (baisse des recettes des péages), et vont à l’encontre d’une mobilité durable.
Frédéric Leturque, maire d’Arras et conseiller régional des Hauts-de-France, a tenu à défendre toutes les villes moyennes « dans un paysage territorial en pleine mutation », et réclamé, pour plus de cohérence d’ensemble, que soit mis en œuvre un schéma national de desserte ferroviaire. Celui-ci a souligné qu’encore trop souvent, les élus étaient « mis devant le fait accompli », à l’occasion de la parution du service annuel voyageur, et que « le dialogue le plus élémentaire restait toujours un exercice compliqué ». L’articulation de toutes les offres de transports doit par ailleurs être mieux combinée entre l’ensemble des autorités organisatrices de mobilité durable (État, régions et agglomérations), avec par exemple le recours à un syndicat au niveau régional, et peut-être aussi une agence de la mobilité, au niveau national, pour faciliter l’accès de tous les usagers.
Pour Bruno Bourg-Broc, président d’honneur de Villes de France, président de la CA de Châlons-en-Champagne, « les conséquences d’une suppression pure et simple de l’offre ferroviaire - qui masque en réalité un manque de compétitivité - sont connues : atteintes profondes à l’aménagement équilibré du territoire et à la mobilité, perte de compétitivité et d’actifs, diminution de l’attractivité économique du bassin de vie…». Débordant du sujet desserte des Villes de France, Bruno Bourg-Broc, a également souligné que la reconversion des friches ferroviaires et des parvis de gare était très chronophage, et que dans sa situation locale, le transfert de la propriété avait pris exactement dix ans.
Définir et estimer le coût des obligations de service public
Face à un risque de « métropolisation supplémentaire », Philippe Buissson, maire de Libourne, a demandé que « les obligations de services publics - NDLR qui seront demandées à l’opérateur historique ou à ses concurrents - soient précisément définies à l’avance », estimant que « les territoires interstitiels ont aussi droit à la grande vitesse et à une desserte transversale ». Le maire de Libourne a insisté sur l’importance du respect de la parole donnée, et indiqué que sa collectivité avait signé avec l’État une convention de desserte. Une situation analogue pour les villes ou collectivités qui ont participé au co-financement de la ligne Sud Europe Atlantique (SEA).
Une équation compliquée
Faisant preuve d’empathie à l’égard des préoccupations exprimées par la délégation de Villes de France, Jean-Cyril Spinetta a regretté les délais extrêmement ambitieux laissés pour sa mission (trois mois), qu’il juge toutefois passionnante.
« A concours publics constants » (soit environ 14 milliards d’euros par an), la priorité doit évidemment être donnée à la regénération annuelle de 1 000 kilomètres du réseau secondaire, qui a connu un renouvellement de 500 à 600 kilomètres par an ces trente dernières année, ce qui est nettement insuffisant.
Cette carence d’investissements consacrés à l’entretien s’est reportée sur le TGV, qui a d’une certaine façon « sauvé la SNCF ». Jean-Cyril Spinetta a d’ailleurs reconnu que le TGV restait dans son ensemble un système robuste avec des recettes annuelles très supérieures aux charges (les résultats 2017 devraient en attester), mais avec « une péréquation qui n’est plus possible de maintenir entre réseaux compte tenu de l’ouverture prochaine du marché à la concurrence » (2020 pour la grande vitesse, et 2023 pour les services conventionnés).
« Cette équation compliquée offre peu de solutions dans l’immédiat, et compte tenu du système actuel et du niveau des péages, il devient nécessaire que l’État définisse clairement les orientations de service public » a-t-il ajouté. Sans dévoiler ses orientations, l’ancien PDG d’Air France-KLM, a souligné que la question du niveau des péages pourrait être en partie résolue, avec l’ouverture des réseaux conventionnées (TET et TER) à d’autres opérateurs, qui se montrent vivement intéressés par cette perspective.
* La délégation de Villes de France était composée de Bruno Bourg-Broc, président de la CA de Châlons-en-Champagne, président d’honneur de Villes de France, de Philippe Buisson, maire de Libourne, et de Frédéric Leturque, maire d’Arras, conseiller régional des Hauts-de-France.