Dans un courrier que s’est procuré Villes de France mais qui n’a pas été rendu public à ce jour, le Commissaire général à l’égalité des territoires, Jean-Michel Thornary, adresse la contribution du CGET au président du Comité du Livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche (1), Bertrand Monthubert. Ce livre blanc a été remis à la ministre de l'Éducation national et de l'Enseignement supèrieur et à son secretaire d'État le 31 janvier.
Le CGET rappelle en préambule que les établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont des leviers de développement des territoires au plan économique, social et culturel. « C’est pourquoi il s’intéresse à leur répartition spatiale dans une logique d’accessibilité (qui a un impact important sur la mobilité sociale), ainsi qu’à leur positionnement et leur intégration dans les écosystèmes locaux d’innovation ».
Des enjeux partagés par Villes de France
Concernant la répartition des moyens dédiés aux territoires et aux acteurs, le CGET recommande de :
- veiller à la prise en compte des équilibres territoriaux dans la répartition des moyens dédiés aux acteurs et aux territoires. Le CGET partage le constat déjà exprimé par Villes de France selon lequel les investissements d’avenir ont eu tendance à se concentrer sur certaines grandes métropoles, en particulier pour les IDEX. Cette situation a également généré des logiques de concurrence de plus en plus marquée entre les territoires. Il dénonce le risque d’un système d’enseignement supérieur à deux vitesses et questionne sur les conditions d’un développement équilibré des sites universitaires.
- accompagner un bon positionnement des sites hors métropoles et de favoriser une recherche de pointe sur les territoires qui peuvent faire valoir leurs atouts spécifiques. Or, constate-t-il, « la recherche ‘d’excellence’ existe en dehors des sites universitaires métropolitains et la notion de ‘masse critique’ de chercheurs pour obtenir une recherche de qualité est de plus en plus contestée, rappelant que les universités les plus prestigieuses (Stanford, Harvard, Yale, Cambridge…) comptaient moins de 20 000 étudiants. Le CGET ajoute dans son courrier : « Le PIA 3 en soutenant des activités de recherche plus ciblées, voire de niches portées par certaines universités petites et moyennes peut renforcer leur dimension d’excellence internationale sur ces segments ».
- favoriser la mutation numérique en faveur de l’accès à l’enseignement supérieur dans des territoires isolés ou pour des populations défavorisées. La transformation numérique de l’université est une préoccupation majeure du 3ème volet du PIA et elle doit permettre de développer l’accessibilité à l’enseignement supérieur des territoires enclavés.
- accompagner les universités dans la recherche de nouveaux modèles économiques à travers le développement de la formation continue.
- renforcer l’ensemble des moyens dédiés à la démocratisation et l’accessibilité de l’enseignement supérieur. Pour le CGET, il apparaît fondamental de continuer à déployer sur l’ensemble du territoire toutes les actions visant à promouvoir l’égalité des chances et l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes issus des quartiers défavorisés. L’accompagnement à la mobilité et l’accessibilité en lien avec les actions des collectivités territoriales et de la politique de site, doit pouvoir intégrer l’enjeu de la poursuite d’études à compter et après la licence.
Concernant l’organisation et la coordination des acteurs, le CGET recommande de :
- continuer à veiller à la cohérence des stratégies nationales et territoriales de recherche et d’innovation (l’exemple de la COMUE Lorraine avec ses sites d’Epinal, Longwy, Saint-Dié-des Vosges, Thionville présente des avantages quant au positionnement des acteurs et la lisibilité qu’elle favorise).
- Stimuler la coordination des différents dispositifs en faveur de la recherche et du transfert de technologie pour permettre une pleine appropriation par les acteurs des territoires. S’appuyant sur un rapport établi en 2016 (2), le CGET constate le manque de lisibilité globale du système français, et le besoin d’une meilleure coordination et d’une plus grande coopération entre les différents dispositifs.
- Continuer d’encourager la différenciation, la cohérence, la complémentarité entre les sites à la fois en termes de formation et de recherche.
- Appréhender l’impact de la réforme territoriale sur l’organisation spatiale du tissu ESR.
Concernant l’accessibilité à l’enseignement et l’attractivité des territoires, le CGET demande de :
- Maintenir les implantations ESR dans les villes moyennes dans les années à venir, facteurs de proximité et d’accessibilité. Développant les constats maintes fois énoncés par Villes de France, le CGET met en avant le facteur de démocratisation de l’enseignement supérieur (taux d’étudiants boursiers, très bons taux de réussite, attractivité du territoire...). Il pointe le danger de faire un choix métropolitain exclusif au détriment d’un choix plus équilibré à une échelle régionale et la saturation des métropoles, de leurs réseaux de transports, de l’accès au logement, alors que la croissance d’ici 2024 serait de 330 000 étudiants à intégrer dans l’enseignement supérieur en France.
- Accompagner la construction de systèmes locaux et régionaux d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. L’université constitue un point d’ancrage sur les territoires autour duquel il faut façonner un écosystème d’innovation, agile et créatif.
Des propositions encourageantes pour les sites d’ESR de proximité
Outre ces constats et enjeux, le CGET assortit son courrier de propositions concrètes qui retiennent toute l’attention de Villes de France. Ondes urbaines revient sur les principales propositions.
- Permettre l’expérimentation et l’innovation pédagogiques sur les territoires à travers le déploiement d’outils numériques, visant à renouveler la façon de pratiquer l’enseignement et la recherche à distance. (Est cité pour illustrer ce propos, l’initiative de l’Université Bretagne Loire qui développe un outil numérique et pédagogique sur 54 sites de proximité).
- Mettre en œuvre une véritable politique de clarification et de spécialisation des sites. Cette politique pourrait prendre appui sur une organisation en réseau des territoires à l’échelle des regroupements et inciter aux complémentarités entre sites métropolitains et déconcentrés, pour favoriser l’insertion des filières de formation en lien avec le tissu économique local.
- Soutenir les activités de recherche spécialisées et les filières de formations professionalisantes en lien avec le tissu économique local, notamment via l’appel à projets des « écoles universitaires de recherche », du type PIA 3. (Est citée en exemple l’antenne universitaire de Cambrai avec sa filière de formation dédiée aux métiers de l’archéologie et la collaboration entre l’université de Pau et des Pays de l’Adour avec le groupe Total)).
- Améliorer la coordination territoriale entre les différents outils qui composent les écosystèmes d’ESR et d’innovation en faisant mieux vivre les instances au niveau de chaque région. L’objectif est par cette proposition de faire progresser la cohérence, les collaborations, la lisibilité du rôle des acteurs, le transfert de technologie issue de la recherche et au final les retombées territoriales et la création de richesses sur les territoires.
Pour conclure, le CGET propose son appui interministériel pour la mise en œuvre de ces dispositions, ainsi que la réalisation de diagnostics, d’analyses territoriales et d’études prospectives et l’animation croisée entre les acteurs des réseaux d’ESR et les acteurs économiques au niveau national et territorial.
(1) En mai 2016, la ministre de l’Education nationale et le secrétaire d’Etat chargé de l’ESR ont confié à Bertrand Monthubert la mission d’élaborer un Livre blanc de l’ESR comme le prévoit la Loi ESR de 2013
(2) Rapport établi par Suzanne Berger : Reforms in the French industrial Ecosystem