L’édition 2024 du Rapport public annuel de la Cour des Comptes a été publiée ce mardi 12 mars, et se compose de 725 pages réparties en deux volumes ; au-delà des 62 recommandations émises par la Cour, la trajectoire de redressement des comptes de la nation prend cette année une place particulière. Les années 2022 et 2023 ont en effet été marquées par de fortes tensions inflationnistes et un niveau élevé des prix de l’énergie, qui ont affaibli le rebond de l’économie en sortie de crise sanitaire et repoussé la fin du « quoi qu’il en coûte ». La France a ainsi entamé l’exercice 2024 avec des finances publiques parmi les plus dégradées de la zone euro. Les textes financiers de l’année ont été bâtis sur une prévision de croissance trop optimiste de 1,4 % que le Gouvernement a décidé d’abaisser à 1,0 % en février, ce qui reste élevé au regard des prévisions des organismes nationaux et internationaux (0,7% pour le consensus des économistes).
Cette révision à la baisse est assortie de mesures d’économies destinées à maintenir inchangée la prévision de déficit et la trajectoire pluriannuelle que trace la loi de programmation des finances publiques. Alors que la charge de la dette croît rapidement, la trajectoire pluriannuelle de retour du déficit sous les 3 % à l’horizon 2027 exigera d’importants efforts de maîtrise de la dépense qu’il importe d’identifier et d’étayer rapidement.
Dans un contexte de net ralentissement de l’activité économique, avec une croissance de 1 % en volume, 2023 constitue une année blanche sur la trajectoire de réduction du déficit public, qui devrait atteindre 4,9 % du produit intérieur brut (PIB) contre 4,8 % en 2022. Les prix, notamment énergétiques, se sont maintenus à des niveaux élevés et les mesures exceptionnelles de soutien et de relance n’ont que peu diminué, tandis que les recettes fiscales, à la différence des deux années précédentes, se révélaient peu dynamiques.
Pour 2024, le Gouvernement prévoit une réduction de 0,5 point de PIB du déficit public, qui atteindrait 4,4 % du PIB, sous l’effet de l’extinction des mesures exceptionnelles. Aucun nouvel effort d’économie structurel n’avait été programmé par la loi de finances pour 2024, seules les réformes des retraites et de l’assurance chômage, déjà engagées venant contenir les dépenses. Le Gouvernement doit désormais procéder dans l’urgence à des économies évaluées à 10 milliards d’euros pour compenser la baisse des recettes liées à la moindre croissance et préserver cet objectif de solde.
Même dans ce scénario, la dette publique atteindrait près de 110 points de PIB en fin d’année, soit 3 200 Md€, en hausse de plus de 800 Md€ par rapport à 2019. Entre 2023 et 2024, la charge de la dette devrait augmenter de 10 Md€, pour atteindre 57 Md€. La situation des finances publiques de la France resterait ainsi parmi les plus dégradées de la zone euro. Réduire sensiblement les déficits, inscrire la dette publique dans une trajectoire décroissante et préserver le potentiel de croissance sont les trois objectifs posés à l’horizon de la trajectoire pluriannuelle 2023-2027. Le respect de ce triptyque est d’autant plus nécessaire que les situations des finances publiques des pays de la zone euro, et notamment de la France, ont divergé avec la crise, créant des risques accrus d’instabilité.
La trajectoire pluriannuelle 2023-2027 retenue par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) promulguée le 18 décembre 2023 apparaît problématique au regard des engagements européens de la France. Le déficit public ne passerait sous les 3 points de PIB qu’en 2027 et la dette ne diminuerait, en part du PIB, que très faiblement en toute fin de période. Cette trajectoire est peu ambitieuse alors même qu’elle reste sous-tendue par des
hypothèses macroéconomiques favorables jusqu’en 2027 et qu’elle prévoit un ralentissement de la dépense publique (hors charges d’intérêts) très marqué par rapport aux tendances historiques.
La trajectoire de dépense affichée par le Gouvernement suppose en effet, non seulement de maintenir l’objectif de solde pour 2024 mais aussi de réaliser « environ 50 milliards d’euros d’économies nouvelles entre 2025 et 2027 par rapport à la tendance observée avant-crise ». Or, ces mesures d’économies ne sont pour l’essentiel pas étayées à ce stade, les effets des réformes des retraites et de l’assurance chômage étant déjà pris en compte.
Pour la Cour des Comptes, un tel effort sera d’autant plus difficile à mettre en œuvre que de nombreuses lois de programmation sectorielles (Défense, Justice, Intérieur, Recherche) orientent déjà la dépense à la hausse pour plusieurs ministères et que la transition écologique devrait mobiliser un volume croissant de financements, privés comme publics. De surcroît, cette trajectoire entérine un déficit croissant de la sécurité sociale, puisque le solde des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) se dégraderait, passant de 8,7 Md€ en 2023 à 17,2 Md€ en 2027, soit un report sur les générations futures de la charge des prestations sociales d’aujourd’hui. Les marges de sécurité autour de la trajectoire de la LPFP apparaissent ainsi extrêmement faibles. Toute mauvaise surprise macroéconomique d’ici 2027, toute réalisation budgétaire en deçà des ambitions affichées, feraient courir le risque d’une hausse du ratio d’endettement public au cours de la période de programmation. Pour les sages de la rue Cambon, il est surtout essentiel de faire preuve de sélectivité dans les dépenses, et de compenser tout surcroît de dépense ou toute baisse d’impôt, par des économies ou des hausses de recettes.