ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°46 -

Villes et Universités craignent d'être sacrifiées sur l'autel de la métropolisation


Vendredi 12 juin avait lieu à Paris un colloque co-organisé par Villes de France et le réseau des présidents des « Petites et Moyennes Universités ». La rencontre était d’importance car environ 60 % des effectifs étudiants inscrits à l’université relèvent des 44 établissements dont le siège est installé dans ces villes infra-métropolitaines. Elle l’était d’autant plus que 21 présidents d’université venaient de faire connaître leurs interrogations sur la situation présente. La presse ne s’y était pas trompée, avec une forte représentation de médias nationaux.
Après une ouverture par Frédéric Leturque (maire d’Arras) et Yves Jean (président de l’université de Poitiers), Éric Brunat (université Savoie Mont Blanc) a dressé un panorama du paysage européen de l’enseignement supérieur et de la recherche qui a montré la diversité des possibles.

 

Ouverture sociale et performance
Puis Christine Gangloff-Ziegler (présidente de l’université de Haute-Alsace), Roger Durand (président de l’université du Littoral), Rachid El Guerjouma (président de l’université du Maine Le Mans - Laval) et Claude Deffaugt (président du Club des entreprises de l’université Savoie Mont Blanc) ont analysé les éléments relatifs à l’ouverture sociale et à la performance en se fondant sur des éléments concrets qui ouvraient sur des questions de choix de modèle de développement.
" Ce serait une erreur de dissocier la formation de la recherche. Si, dans les villes moyennes, il n'y a plus ni recherche, il n'y a plus de doctorant, il n'y a plus de master, il ne restera plus que du premier cycle, ce qui serait sclérosant pour l'innovation " a alerté Christine Gangloff-Ziegler. Elle a fait valoir que les universités de taille petite ou moyenne favorisent la transdisciplinarité qui est un atout de taille quand "on sait que l'innovation naît des interfaces". La souplesse des petites structures est également un atout pour les bonnes relations avec l'environnement économique local. "L'innovation est dans l'interdisciplinarité" a renchéri Claude Deffaugt tout en conviant chacun, et en particulier ceux qui font les réformes, à s'interroger sur une université qui "permettrait de s'adapter aux évolutions de notre monde complexe et mobile". Il faut sortir du débat sur les structures universitaires : "le projet est plus important que la structure".
Rachid El Guerjouma a dénoncé les critères d’attribution des financements du programme d’Investissements d’avenir qui privilégient les universités métropolitaines, et favorisent les universités nées de fusion, au détriment des COMUE qui reposent pourtant sur « la collaboration et la synergie ».
Le constat dressé, il convenait d’envisager, entre rationalisation et proximité, quel était l’équilibre souhaitable entre les universités des métropoles et celles des villes moyennes. Gilles Craspay (adjoint au maire de Tarbes), Sylvain Tranoy (vice-président de la communauté d’agglomération de Cambrai), Emmanuel Roux (président de l’université de Nîmes et administrateur provisoire de la COMUE Languedoc-Roussillon Universités) et Denis Varaschin (président de l’université Savoie Mont Blanc) ont évoqué les craintes et les espoirs suscités au sein des collectivités et des universités par les réformes en cours.
Proximité et souplesse : une nécessité
« Avait-on besoin d’une organisation aussi complexe que la COMUE pour harmoniser les formations ? La réponse est non ; nous avions déjà des accords avec l’université de Grenoble auparavant. Depuis la COMUE, tout est bloqué » a témoigné Denis Varaschin qui a souligné le nombre d’instances nouvelles – pas moins de trente-deux ! – créées par la COMUE.
Gilles Craspay a également demandé « cette souplesse qu’on nous annonce et qu’on ne nous donne pas ». Le centre universitaire de Tarbes a un statut associatif, il regroupe tous les établissements du supérieur, y compris les classes prépa, les BTS, un IUT, les antennes locales d’universités. «Une COMUE locale avant la COMUE» a souligné Gilles Craspay avant de rajouter «aujourd’hui nous ne pouvons pas rester sous forme d’association, mais comment évoluer ? Nous pourrions nous organiser autour de la COMUE de Toulouse, mais le problème, c’est qu’elle ne prendra pas en compte nos établissements extra-universitaires, sans compter l’antenne de l’université de Pau qui dépend de la région Aquitaine ! »
« Il est possible de concilier proximité et rationalisation » a affirmé Sylvain Tranoy, mais « à condition de laisser une liberté d’initiative au niveau local ».
Outre le développement, c’est le maintien des enseignements et pôles de recherche existants dans les agglomérations infra-métropolitaines qui est en jeu. Car le regroupement prévu par la loi Fioraso suppose logiquement une « rationalisation » des moyens et de la carte des formations. Un sujet plus sensible dans les petits pôles universitaires dont le maintien, voire le développement, est indispensable pour permettre à des étudiants modestes d’accéder à une formation universitaire près de chez leurs parents, et contribuent à l’attractivité des territoires.
Marie-Hélène Granier-Fauquer, directrice générale adjointe de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle (DGESIP), a présenté les ambitions ministérielles qui, elle a pu s’en apercevoir à travers les demandes de davantage de souplesse, d’efficacité et de considération, ne se traduisent pas nécessairement dans les réalités observées sur le terrain. La haute fonctionnaire affirme toutefois vouloir maintenir « le niveau master dans tout le niveau infra-métropolitain », pas pour toutes les formations cependant. Face aux critiques sur la lourdeur des COMUE, elle répond que « la grande partie des universités en phase de fusion l’ont digérée », et appelle élus et universitaires à faire part de leur « vision » à l’échelle de leur territoire.
« On parle rationalisation, attribution de pouvoir et donc de moyens, et on passe des heures à mettre en application une loi qui apparaît mal taillée », a rétorqué Claude Deffaugt avant de déplorer « on demande ensuite à chacun d’avoir une vision, mais c’est dès le départ qu’il aurait fallu une vision partagée, entre collectivités publiques, monde académique et acteurs économiques. À défaut, il n’y aura jamais la coordination des ressources nécessaires pour réussir la réforme ».
A l’issue de cette journée de dialogue constructif, il a été convenu d’aller vers la mise en place d’un groupe de travail rassemblant des représentants du ministère, des villes de France et trois présidents d’université, dont celui de l’université Savoie Mont Blanc. Il s’agira pour eux d’établir sur la base d’un constat lucide une vision partagée qui devrait permettre de mieux considérer les organisations en réseau dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.

 

n°46

17 Juin 2015

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