ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°336 -

Entretien des routes nationales et départementales : peut mieux faire



Comptant environ 1,1 million de kilomètres, le réseau routier français (l'un des plus longs et denses d'Europe) est géré en grande partie par les collectivités territoriales – près de 380 000 km par les départements et plus de 700 000 km par les communes. Cette répartition fait suite à plusieurs vagues de décentralisation au bénéfice des départements, que la mise en œuvre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite « 3DS »), adoptée en février 2022, a vocation à poursuivre.
La mise en œuvre de ce transfert partiel du réseau routier national, qui accorde une grande place à la négociation entre les collectivités locales et l'État, voire entre collectivités, va accroître la fragmentation de la compétence routière. Notamment, une nouvelle catégorie de collectivités - en l'occurrence celle des régions - est susceptible de devenir gestionnaire d'un réseau. Dans un rapport publié ce jour, la Cour des comptes relève qu'au total, la France évolue vers un modèle complexe, assez rare en Europe, sans que cette transformation ait donné lieu à une réflexion sur le

 

nouveau rôle de l'État en matière de politique routière.

L'absence d'une véritable politique routière
Dans ce contexte de décentralisation progressive du réseau routier national, l'État reste - de par la loi - le garant de la cohérence et de l'efficacité de l'ensemble du réseau. Or, il ne s'est pas donné les moyens indispensables à l'exercice de cette responsabilité. Ainsi, il ne dispose pas d'informations suffisantes sur la voirie des collectivités locales, leur état, leur entretien et leur usage. En outre, le réseau scientifique et technique (RST), constitutif de l'expertise en matière routière, a vu ses effectifs réduits de moitié ces vingt dernières années, affaiblissant la capacité de l'État à assurer sa mission de conseil et d'appui. Ce déficit de stratégie nationale se traduit notamment par la faible place qu'occupe la question des infrastructures dans la politique de sécurité routière : en effet, si les routes elles-mêmes constituent rarement la principale cause des accidents, leur entretien et leur aménagement pourraient jouer un rôle important dans la réduction des risques. Dans cette perspective, la Cour suggère de placer la délégation à la sécurité routière sous la tutelle conjointe des ministres de l'intérieur et des transports. Par ailleurs, la protection de l'environnement et le changement climatique donnent lieu à des pratiques diverses et non coordonnées. La mise en œuvre d'une véritable politique routière nationale, fondée à la fois sur la connaissance de l'ensemble des réseaux au moyen d'une remontée obligatoire de données, et sur la remise à niveau du RST, doit être menée en concertation avec les collectivités territoriales.

L'insuffisance des outils de pilotage et de programmation
Afin d'améliorer l'évaluation annuelle de l'état des chaussées du réseau national - dont l'État assure un suivi régulier depuis les années 1990 -, le ministère des transports avait décidé de recourir à un dispositif plus perfectionné, reposant sur l'imagerie 3D et la géolocalisation. Malheureusement, sa mise en œuvre s'est heurtée à nombreuses difficultés qui ont empêché une évaluation objective pendant plusieurs années. En outre, l'information sur les routes nationales rendue publique dans les documents budgétaires annuels apparaît trop limitée. S'agissant des réseaux départementaux, les contrôles menés par les juridictions financières ont montré que seuls 40 % des départements de l'échantillon avaient réalisé une campagne d'évaluation de l'ensemble de leurs chaussées. Au total, il est donc difficile de juger de l'état actuel de ce patrimoine. Son entretien et son exploitation restent encore trop souvent des variables d'ajustement, en fonction de la situation financière ou d'autres priorités d'investissement. Malgré les progrès d'une démarche pluriannuelle, la programmation, dans les collectivités locales, demeure souvent empirique, parfois même encore réduite à une répartition forfaitaire entre territoires. Sa formalisation pourrait provenir de la présentation de plans pluriannuels dans les rapports d'orientations budgétaires présentés aux assemblées délibérantes.

Des réorganisations nécessaires pour plus d’efficience
L'organisation actuelle du réseau national non concédé en France est devenue une originalité en Europe : l'État demeure à la fois propriétaire, stratège, régulateur et opérateur. La Cour estime que le suivi de la qualité du service perçue par les usagers et une meilleure association de ces derniers à la collecte de données de terrain, pourraient faciliter l'adaptation aux besoins réels. À l'image de ce qui se pratique en Angleterre, ces démarches devraient inspirer l'ensemble des gestionnaires routiers - État comme collectivités territoriales. Le pilotage assuré par le ministère apparaît à la fois trop étroit, s'agissant de la programmation des opérations les plus importantes, et trop lâche au niveau des pratiques et de l'exploitation. Il conviendrait de mettre en place une contractualisation pluriannuelle d'objectifs et de moyens entre administration centrale et services de gestion, afin d'améliorer l'efficience de l'ensemble de cette organisation. Cette réforme du mode de gestion, l'adaptation des niveaux de service, de même qu'une meilleure connaissance des besoins grâce à des indicateurs plus précis et plus pertinents, pourraient contribuer à d'importants gains d'efficacité. À cet égard, certains départements ont su davantage adapter leurs objectifs, mais aussi leurs organisations, aux moyens disponibles. Une approche pluriannuelle s'avère indispensable.
La Cour des Comptes souligne enfin que certaines dépenses d'entretien préventif permettraient de réaliser, à terme, d'importantes économies, en évitant des réparations beaucoup plus lourdes dans le futur.

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n°336

10 Mars 2022

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Président : Gil Avérous

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