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URBAINES

Ondes urbaines n°302 -

Loi de sécurité globale : le Conseil constitutionnel invalide les dispositions les plus emblématiques



Dans une décision parue la semaine dernière (n° 2021-817 DC du 20 mai 2021), le Conseil Constitutionnel a invalidé les dispositions les plus significatives de la loi pour une sécurité globale. Saisi de vingt-deux articles, le Conseil constitutionnel en valide au total quinze, tout en assortissant quatre d'entre eux de réserves d’interprétation, et en censure totalement ou partiellement sept. Il censure en outre d'office cinq autres dispositions ayant le caractère de « cavaliers législatifs ». L’expérimentation (art. 1) des pouvoirs de police supplémentaires pour les polices municipales est en particulier déclaré non conforme à la Constitution. Ces dernières ne dépendent pas hiérarchiquement de l’autorité judiciaire, et n'ont pas les qualifications techniques requises au niveau de la procédure pénale.

Dispositions conformes
Au nombre des dispositions déclarées conformes à la Constitution figurent notamment :
- l'article 4 de la loi déférée étendant à l'ensemble des manifestations sportives, récréatives ou culturelles la possibilité pour les agents de police municipale de procéder à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à des palpations de sécurité. Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé à cet égard que s'il était loisible au législateur de ne pas fixer les critères en fonction desquels sont mises en œuvre les opérations de palpations de sécurité, d'inspection et de fouille des bagages pour l'accès aux manifestations sportives, récréatives ou culturelles, la mise en œuvre de ces vérifications ainsi confiées par la loi à des agents de l'autorité publique ne saurait s'opérer qu'en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.
- les dispositions de l'article 40 étendant, sous certaines conditions, le champ des images prises par des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique auxquelles peuvent accéder les policiers municipaux ainsi que certains agents de la Ville de Paris. Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne sauraient leur permettre d'accéder à des images prises par des systèmes de vidéoprotection qui ne seraient pas mis en œuvre sur le territoire de la commune ou de l'intercommunalité sur lequel ils exercent leurs missions ;
- l'article 45 relatif à l'utilisation de caméras individuelles par les agents de la police nationale, les militaires de la gendarmerie nationale et les agents de police municipale. Pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, le Conseil a tenu compte notamment de ce que les motifs permettant le recours à ces caméras excluent qu'il en soit fait un usage généralisé et discrétionnaire ;
- l'article 50 supprimant le bénéfice des crédits de réduction de peine prévus par l'article 721 du code de procédure

 

pénale en cas de condamnation pour certaines infractions d'atteintes aux personnes, lorsque ces infractions ont été commises à l'encontre d'un élu, d'un magistrat, de représentants de la force publique ou d'autres personnes dépositaires de l'autorité publique ou à l'encontre de certaines personnes chargées d'une mission de service public ;
- l'article 53 prévoyant que l'accès à un établissement recevant du public ne peut pas être refusé à un fonctionnaire de la police nationale ou à un gendarme au motif qu'il porte son arme hors service.

Dispositions invalidées par le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a en revanche invalidé :
- l'article 1er de la loi déférée permettant, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, aux agents de police municipale et gardes champêtres de certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre d'exercer des attributions de police judiciaire en matière délictuelle.
Le Conseil constitutionnel a rappelé à cet égard qu'il résulte de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. Cette exigence ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d'enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition d'officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes.
Le Conseil a relevé que, si le procureur de la République se voit adresser sans délai les rapports et procès-verbaux établis par les agents de police municipale et les gardes champêtres, par l'intermédiaire des directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, le législateur n'a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale. Notamment, contrairement à ce que le code de procédure pénale prévoit pour les officiers de police judiciaire et nonobstant son pouvoir de direction sur les directeurs et chefs de service de police municipale, ne sont pas prévues la possibilité pour le procureur de la République d'adresser des instructions aux directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, l'obligation pour ces agents de le tenir informé sans délai des infractions dont ils ont connaissance, l'association de l'autorité judiciaire aux enquêtes administratives relatives à leur comportement, ainsi que leur notation par le procureur général.
D'autre part, si les directeurs et les chefs de service de police municipale doivent, pour être habilités à exercer leurs missions de police judiciaire, suivre une formation et satisfaire à un examen technique selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'État, il n'est pas prévu qu'ils présentent des garanties équivalentes à celles exigées pour avoir la qualité d'officier de police judiciaire.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que, « en confiant des pouvoirs aussi étendus aux agents de police municipale et gardes champêtres, sans les mettre à disposition d'officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes, le législateur a méconnu l'article 66 de la Constitution » ;
- certaines dispositions de l'article 47 déterminant les conditions dans lesquelles certains services de l'État et la police municipale peuvent procéder au traitement d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord (captation d’images par les drones). Le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée ;
- l'article 48 permettant aux forces de sécurité intérieure et à certains services de secours de ces caméras embarquées que pour la durée strictement nécessaire à la réalisation de l'intervention, le législateur n'a lui-même fixé aucune limite maximale à cette durée, ni aucune borne au périmètre dans lequel cette surveillance peut avoir lieu.
- le paragraphe I de l'article 52 (art. 24 de la proposition initiale qui instituait le nouveau délit de provocation à s’en prendre aux forces de l’ordre) réprimant de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende « la provocation, dans le but manifeste qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l'identification d'un agent de la police nationale, d'un militaire de la gendarmerie nationale ou d'un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d'une opération de police, d'un agent des douanes lorsqu'il est en opération ».
Le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur n'a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l'infraction contestée. Dès lors, le paragraphe I de l'article 52 méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines, c’est-à-dire, une définition de l’infraction en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.

n°302

27 Mai 2021

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