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URBAINES

Ondes moyennes n°690 -

Le Conseil d'État ouvre aux tiers de nouvelles voies de contestation des contrats administratifs


Dans une décision rendue publique vendredi 4 avril, le Conseil d’Etat vient d’ouvrir à tous les tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif, la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat. Une vraie brèche dans la théorie des contrats administratifs !
Dans une décision « département du Tarn-et-Garonne », le Conseil d’État revient sur une jurisprudence ancienne réservant cette voie de recours aux parties au contrat et aux concurrents évincés lors de sa passation.
Afin de concilier le principe de légalité, auquel est soumise l’action administrative, avec la préoccupation de stabilité des relations contractuelles, les tiers ne pourront toutefois se plaindre que des illégalités particulièrement graves ou en rapport direct avec leur intérêt lésé.
Rappel du contexte
Jusqu’ici les voies de recours ouvertes, devant le juge administratif, pour contester un contrat différaient selon les catégories de requérants. Traditionnellement, seules les parties signataires du contrat pouvaient en contester directement la validité devant le juge du contrat. Les tiers au contrat ne pouvaient contester, pour leur part, que les actes administratifs dits « détachables » du contrat, c’est-à-dire les actes préalables à sa conclusion, qui l’ont préparée et rendue possible (CE, 4 août 1905, Martin).
L’annulation d’un acte « détachable » illégal ne débouchait qu’exceptionnellement sur l’annulation par ricochet du contrat lui-même. Cette distinction était justifiée par la nécessité de préserver la stabilité des relations contractuelles en empêchant que des tiers puissent obtenir l’annulation des contrats alors que ceux-ci sont en cours d’exécution.
Depuis quelques années, deux mouvements sont venus fragiliser cette construction :
- D’une part, une catégorie particulière de tiers – les candidats évincés lors de la procédure de passation – s’est vue ouvrir des voies de contestation directe du contrat. Cette ouverture a été le fait de la jurisprudence du Conseil d’État, qui leur a permis de former un recours devant le juge du contrat (CE, Assemblée, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation), puis du législateur, qui leur a permis, sous certaines conditions, de former un référé contractuel.
- D’autre part, la jurisprudence a doté le juge du contrat de nouveaux outils lui permettant de sanctionner les éventuelles irrégularités d’un contrat autrement qu’en l’annulant rétroactivement de manière systématique (décision Société Tropic Travaux Signalisation précitée et CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers), par exemple en le résiliant seulement pour l’avenir ou en décidant que l’intéressé n’a droit qu’à une réparation indemnitaire. Une ouverture plus large des voies de recours pouvait donc être compatible avec l’objectif de stabilité des relations contractuelles.
Tous les tiers susceptibles d’être lésés
Dans cette décision, le Conseil d’État décide d’ouvrir le recours direct contre le contrat à tous les tiers susceptibles d’être lésés, dans leurs intérêts, par sa passation ou ses clauses. Ces tiers peuvent à présent contester la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, y compris en faisant valoir, devant le juge du contrat, l’illégalité des actes « détachables » du contrat. La voie du recours contre ces actes «détachables», devenue inutile, leur est désormais fermée.
La nouvelle voie de recours est encadrée dans ses modalités. Pour pouvoir saisir le juge du contrat, les tiers doivent ainsi justifier que leurs intérêts sont susceptibles d’être lésés de manière suffisamment directe et certaine. Sur le fond, ils ne peuvent se plaindre que des vices du contrat en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou de ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office.
Le juge apprécie alors l’importance de ces vices et les conséquences à en tirer. Il peut, selon les cas, décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, inviter les parties à le régulariser, ou encore décider de résilier le contrat à compter d’une date fixée par lui. C’est seulement dans les cas où le contrat a un contenu illicite, ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité, que le juge, après avoir vérifié que sa décision ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, en prononce l’annulation totale. Il peut dans certains cas condamner les parties à verser une indemnité à l’auteur du recours qui a subi un préjudice.
Le même recours est ouvert aux élus des collectivités territoriales concernées par le contrat et au préfet de département chargé du contrôle de légalité. Toutefois, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, ces requérants peuvent invoquer tout vice entachant le contrat. En outre, dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet de département peut continuer de demander l’annulation des actes « détachables » du contrat tant que celui-ci n’est pas signé.
Pas de rétroactivité pour les contrats déjà signés
Enfin, en raison de l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, la nouvelle voie de recours ouverte par la décision du Conseil d’État ne pourra être exercée par les tiers qui n’en bénéficiaient pas auparavant que contre les contrats signés à compter de la date de cette décision (à savoir le 4 avril 2014). Pour les contrats signés avant cette date, l’ancienne voie de recours contre les actes « détachables » leur reste ouverte.
Consulter la décision
http://www.conseil-etat.fr/fr/selection-de-decisions-du-conseil-d-etat/

 

n°690

09 Avril 2014

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