ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°280 -

Revitalisation des commerces : les maires en première ligne



Me Pierre-Yves Nauleau, Avocat directeur – Pôle Collectivités territoriales Claisse & Associés

Préserver les commerces de proximité est devenu pour de nombreux maires une préoccupation majeure ces dernières années.
L’épidémie de Covid-19 a accentué les déséquilibres et mis en avant les difficultés que de nombreux commerçants et artisans rencontraient déjà auparavant.
Face à cet enjeu, et en dépit du rôle très limité des communes en matière d’aides publiques locales, les communes et leurs groupements disposent de moyens d’outils juridiques qu’elles peuvent mobiliser pour agir aussi bien à court- que long-terme.

1. Les mesures ponctuelles de soutien aux commerces locaux
La mise en place de bons d’achat consiste le plus souvent à mettre en place des réductions financées par la collectivité, pour les achats effectués auprès de commerçants locaux.
Celle-ci doit intervenir dans un cadre juridique précis dès lors qu’à défaut, elle est susceptible d’être qualifiée d’aide publique locale et sa légalité peut être alors être remise en cause.
En pratique, celle-ci peut être envisagée sur le fondement de l’article R. 123-2 du CASF qui autorise dans le cadre de l’action sociale la mise en place de prestations en nature.
Un tel dispositif doit alors respecter :
 - le principe d’égalité devant le service public en vertu duquel toute personne dans une situation objectivement identique a droit aux mêmes secours que tout autre bénéficiaire placé dans la même situation[1].
 - le principe de spécialité territoriale qui limite l’intervention au profit des seuls habitants de la commune.
 - le principe de spécialité matérielle, qui impose que l’aide envisagée relève d’une activités à caractère social, au sens où cette aide doit répondre à une préoccupation d’ordre social[2].
Il est également possible pour les collectivités d’envisager de subventionner les associations (notamment de commerçants) qui envisageraient un tel dispositif. Sur le plan juridique il s’avère plus sécurisant qu’une telle approche intervienne dans le cadre d’un appel à projets de sorte à pouvoir s’assurer que
 - la subvention ait pour objet de soutenir financièrement une action initiée, définie et mise en œuvre par un tiers, quand bien même l’initiative de l’association viendrait répondre à un dispositif incitatif mis en place par la personne publique distribuant les fonds.
 - aucune contrepartie directe ne soit attendue par la collectivité vis-à-vis du bénéficiaire[3].

 



La suspension ou l’exonération de taxes locales
Afin de préserver la trésorerie des commerces, les communes peuvent décider de soumettre à leur assemblée délibérante l’exonération totale ou partielle de plusieurs taxes locales.
Tel est le cas notamment :
 - des droits de terrasse des restaurateurs et de bars
Il convient de rappeler que le droit de terrasse est la contrepartie d’une occupation par un commerçant d’une partie du domaine public communal (une place ou encore une halle).
En principe cette occupation donne lieu à la perception d’une redevance, puisque toute occupation privative du domaine public donne lieu au paiement d'une redevance, tenant compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation[4]
Le b) du I de l'article 20 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19 a modifié l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 afin de permettre aux entreprises dont « les conditions d'exploitation de l'activité sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de [leur] situation financière » du fait de l'épidémie de Covid-19 de suspendre le versement des redevances d'occupation domaniale.
La suspension du versement des redevances n'est valable que pour une durée qui ne peut dépasser celle fixée à l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020, soit entre le 12 mars 2020 et le 23 juillet 2020 inclus.
Indépendamment de ces dispositions, qui ne s’appliquent qu’aux occupations par voie de convention[5] il reste en tout état de cause loisible aux communes d’invoquer les dispositions liées à la force majeure, pour justifier un aménagement de la convention ou de la décision portant autorisation d'occupation du domaine public.
 - de la TLPE (taxe locale sur la publicité extérieure)
Pour mémoire, un régime spécial avait été mis en place par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 pour permettre aux communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’apporter une aide en faveur des entreprises redevables de la TLPE.
L’article 16 de cette ordonnance a ainsi autorisé les collectivités à adopter, à titre exceptionnel, un abattement de 10% à 100% aux montants dus par les redevables pour la TLPE 2020 sous réserve de répondre aux obligations suivantes :
  - vote d’une délibération avant le 1er septembre 2020 ;
  - mis en place d’un abattement identique pour chacun des redevables de la TLPE situé sur la commune, qu’il ait été fermé ou non durant la période de confinement.
Pour les communes n’ayant pas mis en œuvre cette prérogative, il reste possible sur le fondement de l’article L. 2333-8 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) de mettre en place des exonérations, par délibération avant le 1er juillet de l’année N-1 pour l’année N.
Il leur est également envisageable de suspendre le versement des droits de place pour les commerçants abonnés aux marchés forains dont elles ont la responsabilité.

La suspension du stationnement payant
Pour mémoire, il appartient au conseil municipal, sur le fondement de l’article L.2333-87 du CGCT de fixer les tarifs et stationnement. Le maire, quant à lui, intervient pour défini les zones de stationnement payant en vertu de l’article L.2213-2 du CGCT.
Le maire peut donc prendre par arrêté la décision de suspendre temporairement le stationnement payant sur tout ou partie du territoire communal, sans pour autant remettre en cause la délibération du conseil municipal ayant fixé les tarifs.
Cette approche pourrait s’avérer particulièrement utile pour soutenir les commerces demeurant autorisés à fournir leurs clients en « click and collect », ou sous la forme de vente à emporter.

2. Les outils dédiés à une gestion à long terme de l’offre commerciale sur la Ville

La présence de distributeurs automatiques de billets
Le maintien des commerces peut également parfois dépendre de l’accès de la population aux distributeurs automatique de billets. Or, ceux-ci ont tendance à se raréfier sur certains territoires.
Le code général des collectivités territoriales permet aux collectivités d’agir dans ce domaine, en cas de défaillance de l’initiative privée[6]. Sur la base de cette disposition légale, plusieurs communes ont conclu une convention avec un établissement bancaire, ou des sociétés de transports de fonds pour maintenir un distributeur automatique de billets sur leur territoire.
Le plus souvent, il est recouru pour ce faire à la convention d’occupation du domaine public, après organisation d’une consultation sur le fondement de l'article L.2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques. Certaines collectivités ont également conclu des marchés publics de services (pour la seule partie exploitation et maintenance, lorsque la construction d’un local dédié n’est pas nécessaire).

La mise en place d’un droit de préemption des baux et fonds de commerce
Afin de conserver l’affectation commerciale de certains locaux et de pérenniser la présence de commerces dans les centres-villes ou les quartiers ou d’en diversifier l’offre, le code de l’urbanisme permet aux communes de se porter acquéreur prioritaire de biens commerciaux en voie d’aliénation s’ils sont situés dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité préalablement défini par le conseil municipal[7].

 


La loi Artisanat, Commerce et TPE (ACTPE) du 18 juin 2014 et ses décrets d'application des 3 et 24 juillet 2015 ont également permis aux communes déléguer ce droit à des acteurs dotés de davantage de moyens (notamment humains et financiers)[8] : intercommunalités, sociétés d’économie mixte, concessionnaires d’aménagement.
En pratique, lorsqu’un périmètre de préemption a été mis en place par le conseil municipal :
 - Le cédant d’un bail ou d’un fonds de commerce doit, sous peine de nullité de la vente, informer la commune du prix et des conditions de la mutation. Cette déclaration d’intention d’aliéner (DIA) vaut offre de vente à la commune, qui dispose de deux mois à compter de la réception de la notification pour se prononcer. Le silence vaut renonciation de la préemption, autorisant dès lors la mutation projetée, au prix et aux conditions mentionnées[9].
 - La commune doit, dans un délai de deux ans à compter de la prise d’effet de la cession rétrocéder le bien préempté à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, en vue d’une exploitation destinée à préserver la diversité et de promouvoir l’activité commerciale et artisanale dans le périmètre concerné[10]
 - La désignation du repreneur, intervient à l’issue d’un appel à candidature dont la première étape est l’affichage d’un avis de rétrocession[11] et sur la base d’un cahier des charges approuvé par délibération du conseil municipal
 - La rétrocession doit être approuvée par le conseil municipal et obtenir l’accord du bailleur.
 - En l’absence de repreneur au terme du délai d’un an, l’acquéreur pressenti avant la préemption bénéficie d’un droit de priorité d’acquisition.

Références
Code général de la propriété des personnes publiques, articles L.2122-1 et L. 2125-1
Code général des collectivités territoriales, articles L.2213-2, L. 2333-8, L.2333-87, L. 2251-3
Code de l’urbanisme, article L. 214-1 et suivants

[1] CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques). A cet égard, la loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion recommande aux collectivités locales et à leurs établissements (dont les CCAS/CIAS) de veiller à ce que l’attribution des aides extra-légales soit ouverte à l’ensemble des bénéficiaires disposant des mêmes ressources rapportées à la composition de leur foyer. Il s‘agit donc d’attribuer les aides sous des critères de ressources et non plus de statut, de bénéficiaires d’un minimum social par exemple.
[2] Ce principe a été rappelé dans un arrêt du Conseil d’Etat du 29 juillet 1993, CCAS d’Evry : l’aide sociale facultative doit « répondre exclusivement à une préoccupation d’ordre social »
[3] CE Sect., 6 juillet 1990, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais, n° 88224 - CE, 23 mai 2011, Commune de Six-Fours Les Plages, n°342520 - CE, 26 mars 2008, Région de la Réunion, n° 284412
[4] Article L.2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques
[5] L’article R 2122-1 du CGPPP rappelle en effet que « L'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire et révocable, par la voie d'une décision unilatérale ou d'une convention."
[6] L’article L. 2251-3 du code général des collectivités territoriales prévoit que « lorsque l'initiative privée est défaillante ou insuffisante pour assurer la création ou le maintien d'un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural ou dans une commune comprenant un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville, la commune peut […] accorder des aides, sous réserve de la conclusion avec le bénéficiaire de l'aide d'une convention fixant les obligations de ce dernier »
[7] Article L.214-1 du code de l’urbanisme
[8] Désormais codifié à l’article L214-1-1 du code de l’urbanisme
[9] Articles L.213-4 à L.213-7 du code de l’urbanisme
[10] Article L.214-2 du code de l’urbanisme
[11] Article R.214-12 du code de l’urbanisme

n°280

03 Déc 2020

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