ONDES
URBAINES

Ondes moyennes n°630 -

Mise à disposition gratuite et risques de concussion


Dans le cadre de son partenariat avec la Smacl, la FVM publie mensuellement un commentaire juridique issu de l’Observatoire des risques juridiques de la vie territoriale.
Biens communaux  en cause
Le conseil municipal d’une ville de 30 000 habitants autorise en mai 2003 la vente d’une parcelle communale à un particulier désireux d’y construire sa maison d’habitation. Un permis de construire est délivré en février 2004 et la construction achevée en 2005. Mais le prix de vente du terrain n’est versé qu’en décembre 2006.
En effet, informé des difficultés de financement auquel était confronté l’acheteur, l’élu a accepté de différer la vente pour permettre au particulier de financer prioritairement la construction de sa maison.
A la faveur d’un changement de majorité municipale, une plainte est déposée avec constitution de partie civile par la nouvelle équipe. L’ancien maire est alors poursuivi pour concussion. Cette infraction réprime en effet le fait pour un élu ou un fonctionnaire soit d’exiger une somme qu’il sait ne pas être due, soit, inversement, d’exonérer une personne du paiement d’une somme qui aurait dû être versée à la collectivité.
Un an de prison avec sursis pour l’élu
La cour d’appel condamne l’élu à un an d’emprisonnement avec sursis et 8 000 euros d’amende, et l’acheteur pour recel, à neuf mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve :
- l’acheteur « a bénéficié d’un avantage illégal caractérisé par l’occupation à titre gratuit et non autorisée d’un terrain communal » ;
- « cet avantage indu trouve son origine dans un manquement commis par le maire à ses obligations légales qui lui imposaient de passer l’acte de vente décidé par le conseil municipal le 26 mai 2003, ce que ce dernier sans motif légitime n’a pas fait » ;
- « de tels faits, générateurs d’une exonération irrégulière, ne résultent ni d’une inertie ni d’une négligence mais ont été commis sciemment » ;
- « le préjudice subi par la commune équivaut à l’avantage dont a profité M. Y... en occupant gratuitement, de façon illégale, une partie du domaine communal pendant deux ans » ;
- ce n’est que grâce « à la complaisance de l’élu » que le particulier a pu s’installer « sur un terrain au début de l’année 2004 et en l’occupant sans bourse délier jusqu’au 6 décembre 2006 » bénéficiant ainsi « d’un avantage dont les accédants à la propriété sont habituellement privés ».
L’élu se pourvoit en cassation en invoquant l’interprétation stricte de la loi pénale : le prix de vente d’un terrain ne saurait être assimilé aux « droits, contributions, impôts ou taxes publics » visés par l’article 432-10 du code pénal réprimant la concussion.
Peine confirmée en cassation
Peu importe, répond la Cour de cassation, qui confirme la condamnation de l’élu : « entre dans les prévisions de l’article 432-10, alinéa 2, du code pénal le fait pour un maire d’exonérer l’acquéreur et occupant d’un terrain communal du paiement du prix de ce dernier en s’abstenant volontairement de passer l’acte de vente dudit terrain, autorisé par le conseil municipal, en violation de l’article L. 2122-21, alinéa 7, du code général des collectivités territoriales ».
C’est donc à bon droit que les juges du fond ont retenu l’élu et l’acquéreur dans les liens de la prévention et ont justifié l’allocation à la collectivité, partie civile, d’une indemnité propre à réparer le préjudice en découlant.

 

Ce qu'il faut en retenir
- Le délit de concussion (passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende) réprime le fait pour un élu ou un agent public soit « de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû », soit, inversement, « d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires ».
- Il n’est pas nécessaire d’établir, pour que le délit soit caractérisé, un quelconque enrichissement personnel de la part de l’élu. Ainsi en l’espèce il n’est nullement établi, ni même allégué, que l’élu ait retiré un quelconque avantage de l’opération.
- L’originalité de la présente espèce réside dans le fait que le prix de vente a bien été acquitté. Ce qui est donc sanctionné ici c’est le fait pour le maire d’avoir accepté de différer la vente et d’avoir, en quelque sorte, tacitement accordé un « délai de paiement » à l’acheteur.

Point de droit sur la concussion
Pour rappel, ont été jugés constitutifs de concussion, par exemple, les autres situations suivantes :
- le fait pour un élu d’exonérer un commerçant du paiement de la redevance d’occupation du domaine public ;
- le fait pour une commune d’accorder un traitement indemnitaire à la directrice générale ne correspondant pas aux grades et échelons administratifs auxquels elle pouvait prétendre ;
- le fait pour le maire d’une commune d’octroyer gratuitement un logement de fonction à l’entraîneur du club de foot local ;
- le fait pour un placier d’avoir perçu des « pourboires » ou des fruits et légumes en contrepartie d’attribution d’emplacements privilégiés ;
- le fait pour un président et un vice-président de conseil général de s’être abstenus volontairement d’émettre des titres de recouvrement obligatoires pour obtenir le remboursement des indemnités de frais de représentation ou de fonctions indues (les juridictions administratives ayant annulé les délibérations attribuant au président ainsi qu’aux premier et deuxième vice-présidents dudit conseil des indemnités de frais de représentation) et d’avoir perçu des indemnités de fonctions excédant ce qui était dû ;
- le fait pour un maire d’avoir logé gracieusement un parent dans un appartement du domaine communal, et d’avoir mis à la disposition de proches un garage municipal ;
- le fait pour le président d’une communauté de communes d’avoir perçu des indemnités revalorisées sans accord du conseil communautaire.

Cour de cassation, chambre criminelle, 10 octobre 2012, N° 11-85914

Pour en savoir plus :
www.observatoire-collectivites.org

Contact : [email protected] ou 05 49 32 56 18

 

n°630

12 Déc 2012

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